Le Projet AgregPhilo

Pourquoi l'agrégation de philosophie ?

L'agrégation de philosophie a une place importante dans l'histoire de la philosophie française du dernier siècle, et son rôle se fait encore sentir dans le présent. Comme l'a montré notamment André Chervel, l'agrégation a joué un rôle fondamental dans la formation de l'université française, sans équivalent dans les autres pays. Concours central de l'enseignement d'État, elle a bénéficié d'une force et d'une persistance instutionnelle, ainsi que d'une exigence et d'une rigueur, dont les universités n'étaient pas dôtés en France - celles-ci ayant connu un développement plus tardif que, notamment, en Allemagne. La chose est notamment vraie en philosophie, discipline qui, comme le montre bien Bruno Poucet, a toujours eu une place privilégiée et singulière dans l'enseignement secondaire français. L'agrégation a ainsi historiquement à la fois précédé et déterminé la consolidation des universités au XIXe siècle, les départements universitaires de philosophie devant en partie aussi bien leur existence que leur forme à la nécessité constante de préparer les candidats à l'agrégation.

La difficulté extrême du concours - du fait d'un nombre relativement restreint de places - et le prestige qui l'accompagne, en font aujourd'hui encore un passage presque obligé pour l'accès à l'université. Pour faire bref : les philosophes français d'importance, depuis plus d'un siècle, à n'être pas agrégé, ne sont pas si nombreux. De fait, comme l'a montré Alan Schrift, l'agrégation de philosophie a marqué les générations de philosophes du siècle dernier, mobilisant chaque année non seulement un contingent d'étudiant·es, mais aussi leurs professeurs, sollicités dans chaque université, ainsi que les éditeurs et spécialistes des œuvres au programme sommés de rapidement produire des synthèses ou des colloques thématiques, etc. La pratique philosophique frannçaise étant volontiers structurée par la pratique de la familiarité avec les auteurs canoniques de la tradition - notamment du fait de ce concours - les anciens agrégatifs sont aisément marqués à vie par leur fréquentation intense des auteurs du programme pendant un an, particulièrement les auteurs du programme d'écrit. Et c'est sans parler de l'influence de la forme même des épreuves sur la manière de produire des textes philosophiques, chose qui a été beaucoup commentée. En somme, considérer l'histoire des programmes de l'agrégation de philosophie, c'est bien considérer une part importante de l'histoire de la philosophie française.

Pourquoi AgregPhilo ?

Le projet de constituer une base publique rassemblant les données des programmes de l'agrégation répond à un fait très simple : ces programmes sont difficilement accessibles. Il est possible d'en trouver une partie sur internet, mais en plusieurs lieux différents selon les années, et sans pouvoir remonter très loin. Nous pensons que l'accès public aux données est une des raisons d'être d'internet et un bien net qui mérite d'être réalisé quand il peut l'être.

La motivation initiale du projet est née d'une curiosité concernant le choix de l'ouvrage Intention d'Elizabeth Anscombe, à l'épreuve d'anglais en 2014. La question se posait : était-ce la première fois, dans l'histoire plus que centenaire du concours, qu'une œuvre d'une femme était mise au programme[1] ? Pour avoir une réponse nette à cette question, il fallait se mettre à compiler.

[1] Il semble que oui, en tout cas certainement la première œuvre écrite par une femme depuis 1988. Par la suite, la chose s'est reproduite deux fois : Arendt est apparue, de nouveau dans le programme d'anglais, en 2023, et Simone Weil dans le programme français d'oral en 2024, celui-ci comportant donc la seule présence féminine du programme commun à tous les candidats depuis que le concours existe.